Transcript for:
Abolition de la peine de mort en France

J'ai l'honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l'Assemblée nationale l'abolition de la peine de mort en France. Bonsoir, il était 3h30 cet après-midi quand le garde des Sceaux, Robert Badinter, a donc prononcé cette phrase qui rejoindra sans doute les grands moments, les grands débats des élus du peuple. Qu'on soit pour ou contre la peine de mort, il est certain que ce 17 septembre 81 marquera une date.

Voilà, prête. trois quarts de siècle que les députés ne s'étaient saisis d'un projet de loi portant sur l'abolition de la peine de mort. C'était le fameux débat de 1908 entre Jaurès et Barès.

Entre temps, nombreux furent ceux à batailler pour supprimer la guillotine en France, à gauche et à droite. Et face à une opinion hostile, François Mitterrand, pendant la campagne il y a six mois, avait répété son hostilité à la peine capitale. Et c'est d'ailleurs l'un des plus farouches avocats de l'abolitionnisme qui l'a placé au ministre de la Justice et qui se retrouvait donc cet après-midi devant les députés.

Je dis simplement en rappelant la phrase de Jaurès, puisqu'à l'évidence, en vous, sa parole n'est pas éteinte. La peine de mort est contraire à ce que l'humanité, depuis 2000 ans, a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la foi, à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la révolution.

Et nous savons bien que certains vous diront qu'en votant l'abolition, vous méconnaîtriez la démocratie parce que vous méconnaîtriez l'opinion publique. Il n'en est à rien. Le pays a élu une majorité de gauche dans le programme de laquelle figurait cette disposition.

Ce faisant, le pays, en connaissance de cause, savait qu'il approuvait un programme législatif dans lequel se trouvait inscrit au premier rang des obligations morales l'abolition de la peine de mort. À cet instant, lorsque vous la voterez, c'est ce pacte solennel, celui qui lie l'élu au pays. Celui qui fait que le premier devoir de l'élu est le respect de l'engagement pris avec ceux qui l'ont choisi, c'est cette démarche-là de respect du suffrage universel et de la démocratie qui sera la vôtre.

Robert Badinter a ensuite écarté l'idée d'un référendum, ce référendum d'ailleurs au général de Gaulle qui était hostile en la matière. Et puis il a réfuté l'argument le plus utilisé par les partisans de la peine de mort, à savoir la peur. peut dissuader les criminels.

Il n'a jamais, jamais été établi une corrélation quelconque entre la présence ou l'absence de la peine de mort dans une législation pénale et la courbe de la criminalité sanglante. Seul pour la peine de mort, on invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme dans ses passions extérieures. extrême, ce n'est pas exact.

Et puisque vous avez prononcé tout à l'heure le nom de deux condamnés à mort et de deux exécutés, je vous dirai pourquoi. Est-ce que plus qu'aucun autre, je sais qu'il n'y a pas dans la peine de mort de valeur dissuasive. Sachez bien que dans la foule qui a trois, criez au passage de Buffet et de Bontemps autour du palais de justice, à mort Buffet, à mort Bontemps.

Se trouvait un jeune homme qui s'appelait Patrick Henry. Croyez-moi, à ma stupéfaction quand je l'ai appris, j'ai compris ce que ce jour-là pouvait signifier la valeur dissuasive de la peine de mort. Le garde des Sceaux a demandé qu'il n'y ait pas d'amendement à son texte, pas de restriction par exemple, pas de peine de substitution. Et puis il s'est adressé à ceux qui trouvent que décidément.

Dans ce genre de cas de conscience, on a trop souvent tendance à oublier les victimes. La mort et la souffrance des victimes, ce terrible malheur. La mort et la souffrance des victimes pour le partisan de la peine de mort.

Appel comme une contrepartie nécessaire, impérative. Une autre mort et une autre souffrance. A défaut, disait un ministre de la justice...

La justice récente, l'angoisse et la passion nées dans la société par le crime ne seraient pas apaisées. Cela s'appelle, je crois, le sacrifice expiatoire. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction.

La première est qu'il existe des hommes totalement coupables, c'est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes. Et la deuxième, c'est qu'il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité, au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir. Et bien, arrivé à cet âge de ma vie, l'une et l'autre affirmation me paraissent également erronées, aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes.

Il n'est point d'homme en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Et quant à la justice, aussi prudente soit-elle, aussi mesurée, envoissée que soient les femmes et les hommes qui jugent, rien ne peut changer. Que cette justice soit humaine et par conséquent faillible.