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Réunion sur les syndicats jaunes

J'aimerais remercier Hattie pour cette réunion. Je crois qu'il est plus que temps pour tous ceux qui font tout le travail ici de se lever et de se battre pour leurs droits. On nous paie les heures sup'au tarif normal, on n'a aucune sécurité d'emploi. Excusez-moi Joe, je tiens à souligner que M. Cochrane gagne bien plus de...

de fric que nous. Et je suis convaincu que rien que pour ça, on devrait tous lui faire confiance. Oh non, c'est pas vrai, tu délires.

Vous voulez que je vous dise ce qui m'énerve ? C'est que monsieur Cochrane puisse se garer juste devant l'entrée tous les matins, alors que nous, on doit aller au bout du monde. Ah oui, très bien.

Et la navette jusqu'ici, qu'est-ce Qu'est-ce que vous en faites ? Mais c'est un bus de la ville. Je comprends le ressentiment que je perçois dans cette pièce. Et je ne suis pas du genre à me dégonfler quand il faut y aller. Mais je suggère que plutôt que de créer un syndicat, on forme un comité très spécial et on propose à M.

Cochrane de repeindre ses volets pour qu'il soit gentil. Tu t'assoies et tu la fermes, Felspar. C'est quoi un syndicat jaune ?

Lorsque l'on parle de jaune dans le mouvement social, c'est souvent pour désigner un salarié qui se placerait du côté du patron. Le jaune, c'est le briseur de grève, le mouchard, le traître à sa glace. Un jaune est un traître, c'est un traître qui est un traître. c'est une chose entendue. Mais si la traiterie est une chose aisée à comprendre, la traiterie organisée en syndicat peut apparaître comme plus surprenante.

Pour bien comprendre le syndicalisme jaune, il va falloir remonter aux origines du syndicalisme français. En En 1884, la loi Valdez-Cousseau autorise enfin les syndicats en France. Si, avant cette date, certaines chambres syndicales existaient déjà dans les faits, cette nouvelle loi va permettre un essor du syndicalisme en France et surtout un début de coordination entre les différents syndicats. Ainsi, en 1886, une fédération nationale des syndicats voit le jour. Cette petite fédération est fortement influencée par les partisans de Jules Gued, l'un des premiers marxistes de France.

En parallèle, les bourses du travail se développent et finissent par se regrouper au sein de la Fédération des Bourses du Travail. Cette fois, ce sont les anarchistes qui sont les plus influents. La Fédération Nationale des Syndicats et la Fédération des Bourses du Travail s'unissent en 1895 pour former la fameuse CGT.

La toute jeune CGT va rapidement affirmer un positionnement original. le syndicalisme révolutionnaire. Bref, on va pas vous faire toute l'histoire du syndicalisme en France, surtout qu'on l'a déjà fait dans un épisode précédent.

Pour les besoins de cette vidéo, retenez surtout qu'à partir de la fin du XIXe siècle, le syndicalisme se développe rapidement. Malgré leur diversité, les principales tendances qui le composent ont tout en commun d'être classées à l'époque parmi les rouges. Ce syndicalisme rouge en plein essor constitue une nouveauté qui a de quoi effrayer plus d'un patron à l'époque.

En 1899, une grande grève éclate au Creusot. Le Creusot, c'est le fleuron de la sidérurgie française. Dans cette petite ville, la mine et l'usine emploient près de 10 000 ouvriers. Elles appartiennent à une famille richissime, les Schneider. Outre la mine et l'usine, les Schneider sont propriétaires d'une bonne partie de logements ouvriers.

Ils possèdent aussi les écoles, la maison de retraite, le château du coin et une bonne partie de l'équipement de la ville. Et tant qu'à faire, M. Charles Prosper Eugène Schneider est aussi maire de la ville, conseiller général et député du coin. Heureusement qu'on a aboli les privilèges de la noblesse hein.

Bref, les Schneider contrôlent tout au creusot et disposent d'une emprise sans égale sur leurs ouvriers comme sur l'ensemble de la population. Dans ce contexte étouffant, les grandes grèves qui éclatent en 1899 puis en 1900 vont être particulièrement dures. Les grèves sont massivement suivies, mais Schneider refuse de rencontrer les représentants syndicaux et fait intervenir l'armée.

Pour faire face aux grévistes, Schneider impulse la création d'un syndicat concurrent. Le Syndicat des Corporations Ouvrières du Crozo et de ses Dépendances est ainsi officiellement créé le 29 octobre 1899. Ce syndicat, formé à partir d'un noyau de travailleurs non grévistes, appelle à l'entente entre ouvriers et patrons. Sans surprise, il rejette les grèves et toute discussion à caractère politique. Quelques semaines plus tard, à quelques kilomètres du Creusot, un syndicat du même type est fondé à Mont-Soleimine. Le contexte est identique, les mineurs du coin sont en grève et les non-grévistes forment leur propre syndicat pour concurrencer celui des Rouges.

Comme son alter-ego du Creusot, ce nouveau syndicat se montre hostile aux grèves et plaide pour l'harmonie entre patron et ouvrier. Le Greg, qu'est-ce que tu fais ici ? Aloïs, j'ai réussi à parler avec Monsieur Pinter et j'ai passé à peu près une heure à le supplier mais au moins j'ai réussi, tu as retrouvé ton travail !

Ouais ! Oh, ça c'est génial comme nouvelle, super ! Et la seule chose que tu dois faire, c'est lui présenter tes excuses.

Il retiendra le prix de la bouteille sur ta paye, et tu devras faire du travail de nuit durant deux ou trois mois. Oh ! Ça vaut le coup d'essayer ? Non, merci.

Quoi ? Tu rigoles ? Pourquoi ?

Parce que ce serait admettre que c'est lui qui a raison. je vais quand même pas accepter ça ! Ces syndicats anti-grévistes du Creusot et de Montsolémine sont généralement considérés comme les premiers syndicats jaunes de l'histoire.

Mais ce ne sont pas les premières tentatives pour concurrencer les syndicats rouges. Dès 1887, le premier syndicat d'inspiration chrétienne est fondé à Paris. D'autres suivront, encouragés à partir de 1891 par la nouvelle doctrine sociale de l'Église.

Ces premiers syndicats chrétiens ont de nombreux points communs avec les syndicats jaunes. Ils entendent en effet contester l'influence grandissante des rouges sur les travailleurs, se méfient des grèves et prônent l'harmonie entre patrons et salariés. Cependant, s'ils bénéficient souvent de la bienveillance du patronat, ces premiers syndicats chrétiens sont avant tout liés à l'Église catholique. Or, Même s'ils sont de fervents catholiques, les patrons du Creusot et de Montsoleimine entendent rester maîtres chez eux. Ils ne veulent pas se laisser dicter leur conduite par qui que ce soit, pas plus par les syndicats rouges que par les syndicats du bon Dieu.

Leurs syndicats maison doivent rester en dehors de toute influence extérieure, y compris religieuse. Ce comparatif avec le syndicalisme chrétien naissant permet de mettre en lumière une des spécificités du syndicalisme jaune. Au-delà de ces prises de position, Le syndicalisme jaune se distingue par sa subordination au patron et à lui seul.

Au fait, pourquoi la couleur jaune ? Pierre Bétry, dont le nom va revenir un peu plus tard, a expliqué que pendant une grève des mineurs à Montsolimine en 1900, les grévistes avaient attaqué à coups de pierre un café dans lequel se réunissaient les membres du syndicat antigréviste. Les vitres du café avaient été brisées et on les avait remplacées à la hâte par du papier jaune.

Par ironie, les Rouges avaient alors qualifié le syndicat antigréviste de syndicat jaune. Par esprit de défi, les antigrévistes auraient repris ce terme. Cette petite histoire sur les origines du terme syndicat jaune est très répandue, mais elle entre cependant en concurrence avec une autre, qui prétend que ce sont les antigrévistes du Creusot qui sont à l'origine du terme, car ils avaient pour un signe le gland jaune. Il existe aussi une variante dans laquelle le jeunet remplace le gland.

En fait, Aucune de ces histoires n'est satisfaisante, puisque le terme jaune pour désigner les briseurs de grève est attesté dès 1887, c'est-à-dire avant même la fondation des premiers syndicats jaunes. Ce ne sont donc pas les syndicats jaunes qui sont à l'origine de cette expression, mais cela ne nous dit toujours pas pourquoi le choix de la couleur jaune. Plusieurs pistes ont été explorées.

Peut-être que l'expression a été forgée en référence au Yellow Dog. Une expression américaine qui servait à désigner les travailleurs qui acceptaient, pour être embauchés, de n'adhérer à aucun syndicat. Peut-être aussi que le jaune fait référence à la couleur du pape. Les non-grévistes auraient ainsi repris cette couleur pour marquer leur opposition à un mouvement socialiste alors fortement marqué par l'athéisme. Peut-être faut-il enfin y voir l'héritage d'une longue tradition qui associe le jaune, couleur de Judas, des cocus et des hérétiques, à la trahison et à l'exclusion.

Bref, l'origine du terme reste incertaine. Après cette digression chromatique, reprenons notre récit. L'exemple des premiers syndicats jaunes du Creusot et de Montsolimine crée rapidement des émules. Les nouveaux syndicats jaunes se multiplient, bénéficiant alors d'un large soutien des pouvoirs publics, qui les subventionnent généreusement.

Les syndicats jaunes se coordonnent d'abord dans des bourses du travail dites indépendantes En 1902, une nouvelle étape est franchie avec la formation d'une Fédération Nationale des Jaunes de France. Cette Fédération Jaune aurait alors regroupé plus de 100 000 adhérents, soit à peu près autant que la CGT de l'époque. Dirigée par Pierre Bétry, dont on a parlé un peu avant, la Fédération Nationale des Jaunes rejette la lutte des classes et prône la collaboration avec les patrons.

Pierre Bétry ne se limite cependant pas à une dénonciation des syndicats rouges. Il oriente en effet de plus en plus son mouvement jaune vers le nationalisme. Dans le journal du mouvement, il se montre aussi violemment xénophobe et antisémite.

Il se fait même le chantre d'un socialisme national et animera pendant un temps un éphémère parti baptisé le Parti Socialiste National. L'échec de cette formation n'empêche pas Pierre Bietri de continuer à s'immiscer dans la politique. Naviguant toujours dans le marégo nationaliste, il devient député en 1906 et essaie alors vainement de se poser en rival de Jean Jaurès.

Sur le terrain, les syndicats jaunes s'opposent avec vigueur aux grèves, quitte à jouer les gros bras. Ainsi, à l'été 1905 à Longouis, les militants jaunes s'emparent d'une usine tenue par des grévistes en attaquant à coups de gourdin. Pour la CGT, les jaunes deviennent alors un ennemi prioritaire.. En 1906 à Roubaix, c'est au tour des Rouges d'attaquer une réunion organisée par les Jaunes. Les Jaunes tirent des coups de feu pour se défendre.

La radicalisation des Jaunes dans leurs affrontements contre les grévistes et la CGT d'une part, et d'autre part les discours d'extrême droite de biétrie et son plaidoyer en faveur d'un socialisme national, ont conduit rétrospectivement certains, comme l'historien Zef Sternell, à considérer cette première fédération jaune comme un mouvement précurseur du fascisme. Quoi qu'il en soit, la radicalisation des jaunes et les ambitions politiques de Biétry ne sont pas du goût de tous. Une partie des milieux qui avaient soutenu la Fédération des Jaunes à ses débuts lâche l'affaire, privée de soutien la Fédération Périclite en 1912. L'échec de la Fédération Nationale des Jaunes de France ne signifie cependant pas la disparition du syndicalisme jaune. D'autres centrales syndicales jaunes apparaîtront dans l'histoire. Elles n'auront qu'un...

poids très limité dans le paysage syndical et ne feront parler d'elle qu'à l'occasion d'actes de violence perpétrés contre les autres syndicats. Citons ainsi, en 1977, l'attaque d'un piquet de grève à balles réelles par un commando de militants du syndicat jaune CFT. Cette attaque entraînera la mort du militant CGT Pierre Maître. Si leur audience à l'échelle nationale a été quasi nulle, les syndicats jaunes ont cependant pu être extrêmement puissants dans certaines entreprises.

C'est le cas notamment du secteur automobile où dans de nombreuses usines, les syndicats jaunes ont été tout puissants. Pour espérer obtenir une promotion, une prime ou même parfois la simple tranquillité, il fallait adhérer au syndicat maison. Les effectifs du syndicat étaient constitués par les chefs et agents de maîtrise, mais aussi bien souvent par des travailleurs immigrés à qui on a largement forcé la main.

Pour nous, surtout pour nous les étrangers, comment ça marche ? Pour eux, c'est un... Pour avoir payé un professionnel chez C3M, il faut être mocheur, il faut mocheur des gens, il faut créer des rireaux, il faut l'attendre à quoi discute. Si il parle de la CGT, vous allez voir votre chef, vous allez dire voilà ce monsieur-là il parle de la CGT et tout.

Parce que moi c'est déjà arrivé avant, on ne peut pas se réclamer avec un délégué de la CGT. Alors deuxièmement, il faut payer le récaro chef. Il faut avoir toujours le bataille de récaro derrière la machine. Et puis vous l'invitez chez vous aussi pour le préparer des couscous gardés. Oui, on l'a dit déjà, il parle de ça.

micro alors si pour ça et si vous payez pas ça au chef vous restez toujours ouest même si vous faites 50 postes par jour ça si ça existe chez ces truands ça ça existe chez ces truands si vous payez pas le Ricard si vous mouchardez pas les gens vous restez toujours ouest et je connais des gens qui ont 30 ans dans la maison ils sont toujours ouest il y en a qui vient d'embaucher six mois après il est pillé pourquoi ? quand tu payes la bouteille il passe tout de suite même si tu connais rien il passe tout de suite Oui, tu ne payes pas, tu ne passes pas. Tu ne fais pas la carte, tu ne passes pas.

Quelle carte ? La carte de CSL. La carte, c'est la carte du syndicat jaune CSL, anciennement connue sous le nom de CFT.

L'attaque d'un piquet de grève à balles réelles par un commando de militants du syndicat jaune CFT. Au même titre que la bouteille de Ricard à offrir au contre-maître, elle est pendant longtemps une quasi-obligation pour les ouvriers immigrés des usines de Citroën à Aulnay. A Ramon Thierry.

Grève, le syndicat jaune tout puissant devient alors aussi un moyen supplémentaire pour contrôler les ouvriers. Le climat de terreur que font régner les syndicats jaunes dans l'industrie automobile sera notamment mis en lumière par les grandes grèves de 82. Si vous avez une carte de la CFT comme je dis, je ne dis pas CFT parce que je ne peux pas dire le chiffre de l'honneur parce que c'est celle ou celle, alors si vous l'avez, vous êtes protégé et on dit que c'est la petite carte de tranquillité monsieur. La petite carte de tranquillité dans l'usine.

Qu'est-ce que vous pensez, vous, de la CSL ? Moi, on n'est pas obligé d'idiotes à la CSL. Les immigrés nous disent qu'on les force. Ah non, non, non, on n'est pas forcé.

Le type, on vous conseille, c'est tout. On vous conseille, mais vous n'êtes pas obligé, vous n'attrapez pas la main. Le type, il peut... On vous conseille, c'est tout.

On a deux régleurs. Comme j'ai besoin de quelque chose, je dois aller à la toilette, je dois lui demander est-ce que tu peux m'aider ? Tu peux me remplacer même 5 minutes pour aller à la toilette. Il a dit que non, il me démerde.

Pourquoi ? Parce que je ne l'appuie pas la carte. La carte, quelle carte ? La carte de la CNCL.

La CSL ? La CSL. Alors, pour terminer, au-delà des exemples historiques, quelle définition peut-on donner au syndicalisme jaune ? Un syndicat jaune, c'est un syndicat de salariés créé et dominé par l'employeur, afin de maintenir son emprise sur ses salariés en concurrençant les autres syndicats et en dissuadant, parfois via l'intimidation ou la violence, toute contestation.

A noter que... l'on trouve dans les conventions de l'Organisation Internationale du Travail, une dénonciation du syndicalisme jaune, perçue comme une ingérence patronale dans le syndicalisme. Et pour info, en langage juridique de l'OIT, syndicat jaune, ça se prononce organisation de travailleurs dominée par un employeur Depuis de nombreuses années, la CFDT se fait souvent traiter de syndicat jaune. C'est certes rigolo, mais techniquement, c'est faux. Ne pas soutenir les grèves ou trahir n'est pas en effet un critère suffisant pour être un syndicat jaune.

Pour être un vrai syndicat jaune, il manque à la CFDT l'essentiel, être une organisation dominée par les patrons. Or, si la CFDT trahit, ce n'est pas par subordination, mais bien par conviction. À y réfléchir, c'est peut-être encore pire.

Les vrais syndicats jaunes, ça n'a pas disparu. On pourrait ainsi citer la CAT pour Confédération Autonome du Travail, particulièrement implanté à Darty, mais qui cherche parfois à se développer ailleurs quand un patron a un conflit avec son syndicat local. On pourrait aussi citer le SIA dans l'automobile.

S'il passe souvent inaperçu, les syndicats jaunes reviennent parfois dans l'actualité au hasard d'un énième scandale. Citons Avenir Lycéen, syndicat jaune monté de toutes pièces par le ministère de l'éducation, car oui les syndicats jaunes ça existe aussi chez les jeunes. C'est un non-sujet monté en épingle par le secteur de l'ultra-gauche.

On pourrait également parler du syndicat Arc-en-Ciel, syndicat maison chez Orpea dénoncé par les autres syndicats au moment où le groupe est touché par un scandale autour de sa gestion des EHPAD. Quant à vous, si vous vous demandez comment lutter contre ce fléau des syndicats jaunes, eh bien vous pouvez peut-être commencer par rejoindre un vrai syndicat. Vous savez, un truc en trois lettres.

Oui, ça par exemple. Oui, ça aussi ça marche. Pourquoi pas ?

Alors non, par contre ça c'est... Non. Générique