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Analyse du Système Target 2 en Europe

Aujourd'hui, on va parler du problème des balances Target 2. Alors attention, spoiler alert, si vous n'avez pas suivi la première saison de Target, aujourd'hui on attaque direct avec la saison 2. Mais arrête de dire n'importe quoi, Target 2 c'est le système de règlement livraison européen qui permet aux euros de circuler librement entre les différents pays membres. Règlement livraison ? Ouais, ou settlement en anglais. Target 2 ça veut dire Trans-European Automated Real-Time Gross Settlement Express Transfer System n°2 parce qu'au début il y avait un n°1. Je kiffe ton accent, et aussi c'est pas vraiment plus clair. Ok, aujourd'hui on va essayer d'expliquer ce graphique là. Il s'agit de l'évolution du niveau des balances Target 2 depuis la mise en place de l'euro. Ce que ce graphique montre, c'est que la banque centrale allemande, la Bundesbank, cumule un total de 884 milliards d'euros de créances sur les autres banques centrales de la zone euro. A l'inverse, les banques centrales italiennes et espagnoles ont une dette respective de 478 et de 402 milliards d'euros vis-à-vis des autres banques centrales de l'eurozone. Ah ouais, traduction, à eux seuls les italiens et les espagnols doivent presque 900 milliards aux allemands quoi. J'en connais qui doivent avoir un peu chaud aux fesses. Et bien c'est exactement ce genre de réaction qu'il ne faut pas avoir. Les balances Target 2 sont trompeuses, elles ne montrent pas ce qu'elles semblent montrer. Il y a effectivement un grave problème structurel qui se cache sous les niveaux atteints par cet outil de mesure que sont les balances Target 2, mais ça n'a rien à voir avec des milliards d'euros que les Italiens et les Espagnols devraient aux Allemands. Et aujourd'hui je vais essayer de t'expliquer pourquoi. Ok. Petite info supplémentaire avant de commencer, cette série est divisée en trois parties. Il y aura deux épisodes normaux, si je puis dire, qui suffisent à eux-mêmes, et une vidéo annexe plus technique pour comprendre la manière dont les flux monétaires impactent les bilans des différentes entités. A toi de voir si tu veux pousser jusqu'à cette vidéo annexe, mais si tu comprends bien les deux premières vidéos, je te recommande quand même d'essayer d'aller voir la troisième. Euh... On va commencer par se placer du point de vue d'un pays comme la France. Il y a trois éléments essentiels qui vont nous servir dans notre explication. Première chose, il y a une certaine quantité de dette bancaire qui nécessairement correspond à la quantité de monnaie dite scripturale présente dans l'économie. C'est normal puisque quand les ménages et les entreprises s'endettent auprès des banques, ces dernières créent la monnaie scripturale que nous utilisons tous. Pour info, on a déjà expliqué comment les banques créent la monnaie dans cet épisode-là. Évidemment, en réalité, c'est un peu plus compliqué que ça. La quantité de dette bancaire ne correspond pas exactement à la quantité de monnaie, notamment parce qu'il faudrait aussi tenir compte d'une partie de la dette d'État et aussi des différentes faillites. Pourquoi les faillites ? Eh bien, puisque la monnaie est créée quand la banque te prête, par effet miroir, la monnaie est détruite quand tu rembourses la banque. Or, puisque faire faillite signifie ne pas rembourser ses dettes, une faillite provoque une disparition des dettes sans qu'il y ait eu remboursement, donc sans qu'il y ait eu destruction de la monnaie. Ah oui, j'avais jamais pensé à ça ! Donc reprenons, les banques ayant créé la monnaie, la machine économique peut organiser la production et la consommation de richesses. Je précise ici que ce stock de richesses correspond à l'accumulation des PIB successifs, moins les produits exportés et plus tous les produits importés. C'est probablement pas du tout à l'échelle, l'idée c'est juste que tu n'oublies pas que ces richesses sont bien réelles et que c'est à leur production que sert la monnaie et la dette. Ouais, en même temps t'as vu la place que ça prend, j'ai l'espoir de l'oublier. Ouais, t'as raison, ça va pas être pratique. En fait, je vais virer les richesses pour le moment et on en reparlera. Pour comprendre l'histoire des balances Target 2, il faut d'abord comprendre comment les transferts monétaires ont lieu dans l'économie. Donc imagine que parce que mes vidéos sont excellentes, tu décides de me faire un virement de 50€. Pour info, c'est comme ça que les vidéos sont financées, vous pouvez faire des dons par Tipeee. Allez c'est ça, fais ta pub en plein milieu de l'épisode. En plus tant et rêve oui. A limite je veux bien te filer 2 balles. Ok donc 50€ doivent être transférés depuis ton compte BNP vers mon compte Société Générale. Il y a ici un problème de taille. Tes euros sont estampillés BNP, mais la Société Générale n'accepte que des euros estampillés Société Générale. Mes euros sont estampillés BNP ? Non mais de quoi tu parles ? Sauf les pièces et les billets, qui ne représentent de toute manière qu'une dizaine de pourcents de l'ensemble des euros en circulation, la monnaie que nous manipulons tous les jours est électronique. C'est cette monnaie qui est dite scripturale. Comptablement, les euros scripturaux que tu possèdes à la BNP ne sont transférables que sur les comptes d'individus qui eux-mêmes sont à la BNP. Cela revient au même que dire que tes euros sont élevés. estampillé BNP. Seuls des clients de la BNP accepteront d'être payés avec ces euros-là. Mais n'importe quoi, je peux les utiliser partout. Oui, mais seulement grâce à une manipulation comptable qui se passe au niveau des banques et dont tu ignores tout. Sans elle, tes euros BNP ne seraient utilisables qu'au sein du réseau BNP. Ok, et alors c'est quoi cette manip ? Pourquoi tes euros BNP... passe sur mon compte à la Société Générale, il faut que la BNP commence par trouver de la monnaie centrale, des euros estampillés Banque de France. Banque de France ? C'est pas plutôt Banque Centrale Européenne ? Oui, alors la BCE est la chef des banques centrales, mais il n'empêche qu'en France, les euros centraux électroniques portent le saut de la Banque de France. Tu vas voir que ça a une sacrée importance. Donc, pour que le transfert puisse avoir lieu, la BNP doit s'endetter auprès de la Banque de France. Cette dernière, après avoir demandé l'autorisation à la BCE, valide le presse qui permet la création de monnaies. Banque de France qui est immédiatement crédité sur le compte de la BNP à la Banque de France. Ah parce que la BNP a un compte à la Banque de France ? Toutes les banques de dépôt qui opèrent sur le territoire français ont un compte à la Banque de France. C'est un prérequis pour pouvoir manipuler la précieuse monnaie centrale. Du coup ça veut dire que moi j'aurai jamais de monnaie centrale ? Non, pas sa version électronique en tout cas. C'est une monnaie qui est réservée aux banques de dépôt. Donc maintenant que BNP possède de la monnaie centrale, elle peut payer la Société Générale. Il se passe ensuite deux choses. D'abord, la monnaie BNP est supprimée de ton compte, elle est effacée, détruite. Et en sens inverse, de la nouvelle monnaie Société Générale est inscrite sur mon compte à moi, elle apparaît, elle est créée. Ah oui, donc quand il y a un transfert d'une banque à l'autre, en fait il y a destruction de la monnaie d'un côté et création de l'autre. Exactement. Maintenant, poursuivons l'exemple. Mettons que de nouveau, je fais décidément de superbes vidéos, tu veuilles me faire un virement de 50 euros. Que va-t-il se passer ? Eh bien, pareil nom. Emprunt Banque de France, transfert, destruction, création.. C'est possible, mais il y a de grandes chances pour que, plutôt que de s'endetter auprès de la Banque de France, BNP choisisse de s'endetter auprès de la Société Générale pour obtenir la monnaie centrale dont elle a besoin. Pourquoi ? Parce que le taux d'intérêt demandé par la Société Générale est plus bas que celui demandé par la Banque de France. Pourquoi ? Parce que c'est un peu technique, c'est lié à une histoire de taux directeur, et j'ai pas vraiment le temps de rentrer dans le détail, alors juste fais-moi confiance. Ok. Donc BNP récupère la monnaie centrale, puis elle paye la Société Générale avec cette même monnaie. Et ensuite, c'est pareil. destruction de tes euros BNP et création d'euros Société Générale. Et si on recommence encore l'opération, on peut toujours utiliser la même monnaie centrale. La seule chose qui change, c'est l'apparition d'une nouvelle dette de BNP sur la Société Générale. D'accord, donc tant que les banques veulent bien se prêter leurs réserves de monnaie centrale, on peut réutiliser la même monnaie pour des transactions appliquant des euros scripturaux complètement différents. C'est tout à fait ça. La monnaie centrale électronique utilisée par les banques ne représentait que 5% de la masse monétaire de la zone euro avant la crise, fin 2007. Ce qui montre bien que la quantité de monnaie centrale n'a pas besoin d'être importante tant que les banques se font confiance, tant qu'elles se prêtent la monnaie centrale, tant que le marché interbancaire fonctionne bien. Ok, parce que si le marché interbancaire ne fonctionnait pas, on aurait... Eh bien dans mon exemple, au lieu que BNP ait une dette Banque de France et deux dettes Société Générale, elle aurait trois dettes Banque de France à la place. Également, la quantité de monnaie centrale serait trois fois plus élevée puisqu'à chaque nouvelle dette Banque de France correspond... une création de nouvelles monnaies centrales. Mais alors là du coup tu pars du principe que c'est toujours la BNP qui envoie de l'argent à la Société Générale. Mais en réalité il doit bien avoir un peu des deux, non ? Ça doit se compenser. Oui tout à fait. S'il devait y avoir un transfert depuis Société Générale vers BNP, dans les deux cas la SOG pourrait utiliser ses réserves de monnaie centrale et il n'y aurait pas besoin de nouvelles dettes Banque de France. Donc pas besoin de nouvelles monnaies centrales. Ainsi, un marché interbancaire qui ne fonctionne plus ne signifie pas qu'il faudrait autant de monnaie scripturale que de monnaie centrale. En revanche, Plus il y a des déséquilibres entre les banques, comme dans mon cas où il y a eu trois transferts de suite vers la Société Générale, plus si le marché interbancaire ne fonctionne pas, on va avoir besoin d'une grande quantité de monnaie centrale. Ok, et alors aujourd'hui on en est où ? Eh bien le marché interbancaire est toujours plutôt bloqué à l'heure actuelle. Il y a dans les tuyaux entre les banques de dépôt une quantité de monnaie centrale qui correspond à 25% de la masse monétaire de la zone euro. Ah ouais, quand même 5 fois plus qu'avant la crise. Donc il y a des gros déséquilibres entre les banques. Oui, mais en un sens particulier. On va y venir. En attendant, j'espère que tu as bien compris que cette monnaie centrale n'a rien à voir avec de la monnaie que nous utilisons tous les jours. Notre monnaie scripturale à nous sert à consommer et à investir, tandis que la monnaie centrale électronique des banques ne sert que de relais pour faciliter les mouvements de notre monnaie à nous. Autrement dit, la monnaie centrale n'existe que pour rendre notre monnaie mobile, que pour permettre la libre circulation des capitaux. Ouais, c'est bon, j'ai capté ça. Ok, plaçons-nous désormais dans le cadre d'échanges commerciaux entre l'Italie et l'Allemagne. Que se passe-t-il si l'Allemagne a une balance commerciale excédentaire vis-à-vis de l'Italie ? Pour le moment, on ne s'intéresse pas aux flux entre les banques, mais simplement ce qui se passe au niveau des ménages et des entreprises. Eh ben, les Allemands vendent une partie de ce qu'ils produisent en Italie, donc j'imagine que c'est le moment de refaire apparaître les richesses du début, voilà. Une partie de ce que l'Allemagne produit s'en va en Italie, et en échange, les Italiens envoient de la monnaie en Allemagne. Et du coup, il n'y a rien qui te choque là ? Eh ben, non. Bah, l'Italie vient de perdre de la monnaie. Son stock de monnaie est désormais inférieur à sa quantité de dette. Ah ça, en même temps c'est la triste réalité d'être en déficit commercial, la monnaie se barre. Pas du tout, c'est une spécificité de la zone euro. En effet, une monnaie ne peut jamais quitter la zone dans laquelle elle est utilisée. Elle peut en revanche mal se répartir au sein de cette zone. Tu me parles chinois là. Ok, imagine le même exemple d'échange commerciaux mais entre la zone euro et la Chine. On ne va regarder que la partie monétaire. Une fois l'entreprise chinoise payée sur un compte ouvert dans une banque européenne en euros, que pourrait-elle bien faire de cette monnaie ? Les euros n'ont pas cours en Chine. De toute manière, elle ne peut pas virer des euros sur un compte chinois libellé en yuan. Et même si c'était possible, ça ne lui servirait à rien, puisque seuls les yuans sont valables en Chine. Donc quoi, t'es en train de me dire que les entreprises chinoises investissent forcément les euros qu'elles accumulent en zone euro ? Absolument. Soit ça, soit elles doivent trouver des contreparties qui ont des comptes en Chine et en Europe. et qui veulent échanger leurs yuan contre des euros. Mais la conclusion reste la même. La contrepartie a besoin d'euros parce qu'elle se trouve en Europe et parce qu'elle a des investissements à réaliser en euros. Donc quoi qu'il arrive, les euros restent en zone euro. Ah ouais ? Et c'est pas possible de convertir des euros en yuan ? Non, des euros resteront toujours des euros. Tu peux les échanger contre d'autres devises, mais tu ne peux pas les transformer en une autre devise. Donc autant un déficit commercial de la zone euro vis-à-vis d'un pays qui n'en est pas membre ne peut pas donner à une fuite de la monnaie en dehors de la zone, Les euros restent toujours en zone euro et les yuans restent toujours en Chine. Autant au sein de la zone euro, les déficits commerciaux peuvent tout à fait mener à des déséquilibres importants d'allocation de la monnaie. Dans mon exemple de l'Allemagne et de l'Italie, l'excédent commercial allemand provoque ce genre de déséquilibre. L'Allemagne se retrouve avec plus de monnaie que de dette et c'est l'inverse pour l'Italie. C'est un problème important parce que même si l'Italie vient d'acquérir des actifs allemands, peut-être des machines-outils pour équiper des usines, La mise en exploitation de ces actifs nécessite que de la monnaie soit disponible, ne serait-ce que pour pouvoir payer les employés. De plus, si un stock de dette supérieur à un stock de monnaie ne veut pas dire qu'il y aura nécessairement faillite, notamment parce que la dette se rembourse petit à petit sur des durées importantes, il n'empêche que le service de cette dette, c'est-à-dire les intérêts à payer tous les mois, monopolise une certaine quantité de monnaie, qui, si elle est trop importante, par rapport à la monnaie restante, risque de décourager tout type d'investissement. Conclusion, dans une zone monétaire, les régions en manque de monnaie ont plus de mal à se développer. Mais attends une seconde, une zone monétaire, sauf pour les pays membres de la zone euro, c'est juste un pays non ? Je veux dire, le Royaume-Uni est une zone monétaire, les Etats-Unis aussi. Du coup il doit bien avoir le même genre de déséquilibre. Par exemple au Royaume-Uni, toute la monnaie doit se retrouver à Londres. Ou alors aux US, toutes les thunes doivent se retrouver en Californie ou à New York. Donc c'est pas un problème spécifique juste à la zone euro non ? Oui mais aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, la fiscalité s'applique à tout le monde de la même manière. Les populations les plus riches, vivant dans les régions les plus riches, sont davantage taxées. La monnaie peut ainsi être réinjectée par le biais d'aides et d'allocations diverses dans les régions les plus pauvres. Mon point n'est absolument pas de dire que le système américain ou britannique fonctionne parfaitement, mais simplement de dire que la zone euro n'a aucun système de ce genre. Enfin, elle en a un parce qu'il y a bien un budget européen, mais celui-ci ne représente que 0,75% de son PIB. Pour info, comme tu peux le voir sur ce graphique, dans les pays de l'OCDE, rien que les dépenses publiques d'ordre social représentent en moyenne 20% du PIB. Ah ouais, c'est vrai. Mais finalement, est-ce qu'il y a vraiment un déséquilibre monétaire entre l'Allemagne et l'Italie ? Ou entre n'importe quels autres pays de la zone euro ? Parce que finalement, c'est ça la question, non ? Eh bien, je te remontre les balances Target 2. 884 milliards d'excédents en Allemagne et 478 et 402 milliards de déficits en Italie et en Espagne. Attends, quoi ? Ça veut dire que les balances Target 2 représentent les déséquilibres monétaires dont on vient de parler ? Exactement ! La signification de l'excédent Target 2 allemand et des déficits italiens et espagnols, c'est des ménages et des entreprises italiennes... et espagnols se sont endettés auprès de leurs banques, il y a eu création monétaire dans ces pays, mais par le jeu de la libre circulation des capitaux, ces euros sont aujourd'hui rendus en Allemagne. Rendus en Allemagne ? Non, non, tu veux dire que les Allemands attendent toujours parce que les Italiens et les Espagnols n'ont pas encore payé ? Ah non, non, non, les euros sont en Allemagne, les Allemands les utilisent tous les jours. Ce que les Italiens et les Espagnols doivent rembourser, ce ne sont pas les Allemands, ce sont les banques italiennes et espagnoles qui ont créé la monnaie. Mais les Allemands n'ont rien à voir là-dedans. Attends une seconde, les balances Target 2 sont bien des dettes, non ? Oui, mais des dettes en monnaie centrale. Rappelle-toi ce qu'on a dit tout à l'heure. Autant la monnaie scripturale que nous utilisons nous tous les jours sert à consommer et à investir, autant la monnaie centrale électronique utilisée par les banques ne sert que de relais pour faciliter les mouvements de notre monnaie scripturale. Les dettes Target 2 n'ont pas pour but d'être remboursées. D'ailleurs, elles n'ont aucune échéance de remboursement. Aucune date à laquelle la banque centrale endettée doit rembourser la banque centrale créditrice. Les dettes Target 2 sont simplement là pour augmenter ou diminuer au fur et à mesure des flux monétaires entre les pays européens. Ah ouais, j'avais déjà oublié ça. D'accord, mais alors, comment ça marche concrètement ? Comment on arrive à avoir un excédent de 884 milliards d'euros en Allemagne ? Ok, reprenons notre exemple Italie-Allemagne. Quand de la monnaie est transférée depuis l'Italie vers l'Allemagne, et ce, quelle qu'en soit la raison, il y a toujours cette histoire de monnaie centrale qui doit servir de relais pour faciliter le transfert. Je vais essayer d'aller vite parce qu'on a déjà vu comment ça marchait. Au premier transfert, le secteur bancaire italien fait un crédit auprès de la banque centrale d'Italie, ce qui permet la création d'euros centraux italiens, valables uniquement pour les banques italiennes. Puis, ces euros vont être envoyés en Allemagne, mais ça ne va pas passer. Les banques allemandes ont besoin d'euros centraux allemands. Ainsi, sans que les banques italiennes ne s'en rendent compte, la banque d'Italie va supprimer les euros centraux qu'elle vient de créer et demander à la Bundesbank de créer des euros centraux allemands à la place. Le truc ? C'est qu'il faut toujours une contrepartie quand on crée de la monnaie. La Banque d'Italie doit donner quelque chose à la Bundesbank pour qu'elle puisse créer de la monnaie. Ce quelque chose, c'est une dette. La Banque d'Italie va s'endetter auprès de la Bundesbank pour que celle-ci puisse créer de la monnaie centrale allemande. D'où la naissance d'une dette Target 2 de la Banque d'Italie sur la Bundesbank. Les euros centraux allemands peuvent maintenant être crédités sur le compte du secteur bancaire allemand à la Bundesbank. Les euros italiens scripturaux sont détruits et des euros scripturaux allemands sont créés. La banque d'Italie a bien une dette Target 2 vis-à-vis de la Bundesbank, mais cela veut justement dire que les euros scripturaux ont bien été transférés. Les Allemands les possèdent, ils peuvent les utiliser. Ah ouais, c'est pas du tout intuitif en fait. Et non, c'est sûr. Je te montre maintenant ce qui se passerait si on devait avoir un deuxième transfert, toujours depuis l'Italie vers l'Allemagne, et dans le cadre d'un marché interbancaire fonctionnel cette fois. Les banques italiennes empruntent la monnaie centrale aux banques allemandes. Celle-ci doit être convertie via Target 2 en monnaie centrale italienne pour être réceptionnée par les banques italiennes. Il y a maintenant des dettes Target 2 des deux côtés de la frontière, et pour le même montant, donc elles s'annulent. Les banques italiennes payent les banques allemandes via la monnaie centrale qu'elles viennent d'obtenir, et il faut de nouveau passer par Target 2 pour transformer la monnaie centrale, et donc de la dette Target 2 réapparaît du côté italien. Puis on termine, suppression des euros scripturaux italiens et création des euros scripturaux allemands. Ici tu peux voir que la dette Target 2 de l'Italie n'a pas augmenté. Et c'est normal, tant que les banques se font confiance, les flux de prêts de monnaie centrale compensent les flux de paiements. si bien que les balances Target 2 ne sont pas impactées. En revanche, s'il n'y a plus de flux de prêt, c'est-à-dire si les banques allemandes refusent de prêter leur monnaie centrale, ou dit encore autrement si le marché interbancaire est bloqué, alors le secteur bancaire italien doit systématiquement faire une demande de création monétaire auprès de la banque d'Italie, puis envoyer cette monnaie via Target 2 en Allemagne, ce qui fait sauter les balances dans un seul sens. Ok, donc il y a deux trucs, quoi. Pour voir apparaître des balances Target 2 hyper élevées, il faut d'abord un marché interbancaire complètement pété, et la monnaie scripturale qui se barre de certains pays. pour aller vers d'autres pays. C'est tout à fait ça. Maintenant, je vais tenter une analyse de ce qui s'est passé depuis la mise en place de l'euro. Voici un graphique qui te montre les balances Target 2 agrégées de l'Allemagne, du Luxembourg, des Pays-Bas et de la Finlande pour les pays du Nord, et de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce pour les pays du Sud. On voit bien la symétrie. Donc, entre 2000 et 2008, parce que le marché interbancaire fonctionne bien, il y a peu de monnaie centrale dans le système. Donc, il est impossible d'avoir des balances Target 2 importantes. Il faudrait faire une analyse de la dette interbancaire. pour savoir si le déséquilibre nord-sud était déjà visible. Mais a priori, on peut penser que la monnaie qui s'en allait dans le nord pour cause d'excédents commerciales était en partie réinvestie dans le sud pour cause de taux de croissance plus élevés. En septembre 2008, c'est la faillite de Lehman Brothers. Le marché interbancaire cesse de fonctionner. Les mécanismes Target 2 doivent prendre le relais pour assurer la libre circulation des capitaux. Jusqu'en 2012, on peut penser que deux phénomènes font augmenter les balances du nord et diminuer celles du sud. D'abord... Le cumul de l'excédent commercial du Nord jusque-là en partie réinvesti dans le Sud est rapatrié. Et il faut bien suivre le flux pour comprendre. Les euros ont été créés dans le Sud, puis envoyés dans le Nord pour cause de déficit commercial, puis réinjectés en partie dans le Sud sous la forme d'investissement. Tout ça sans impact Target 2. Mais désormais, parce que le marché interbancaire ne fonctionne plus, le retrait des investissements provoque des déséquilibres Target 2. Le deuxième phénomène, c'est une panique des épargnants aisés du Sud, qui ouvrent des comptes dans les banques du Nord, afin d'y envoyer leur épargne. L'idée est de se prémunir contre d'éventuelles faillites bancaires ou sorties de leur pays de la zone euro. En 2012, Mario Draghi, président de la BCE, prononce ces mots. The ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. Whatever it takes tout ce qui est nécessaire. Cela rassure les investisseurs du Nord et la fuite des capitaux s'arrête. Il y a même une inversion de tendance de 2012 à 2014. Une partie des euros fabriqués dans le Sud retourne dans le Sud, ce qui fait diminuer les balances Target 2. Mais attends, Mario Draghi c'est qui là ? Superman ? Comment il arrive à faire ça en un seul discours ? Le discours de Draghi a sûrement été un genre de goutte d'eau qui, additionné à toutes les autres décisions européennes depuis le début de la crise de l'euro en 2010, a permis cette inversion de tendance. Il n'empêche qu'il ne faut pas oublier que le pouvoir de création monétaire de la BCE pourrait techniquement sauver n'importe quelle banque ou état de la faillite. La BCE n'a pas le droit d'utiliser ce pouvoir n'importe comment, les interdictions sont notamment très strictes dans le cas des états, hashtag ordo-libéralisme. Mais le discours de Draghi a sûrement convaincu les investisseurs que si la cohésion de la zone euro était en jeu, la BCE chercherait tous les moyens possibles pour contourner les règles. Ok, donc Super Mario de 2012 à 2014. Et après 2014, c'est quoi l'idée ? Les investisseurs paniquent à nouveau ? Ici, l'explication est plus complexe. La BCE lance son programme de rachat d'actifs financiers, son Asset Purchase Programme, ou QE, Quantitative Easing, début 2015. Il s'agit d'une injection massive de monnaie centrale, donc potentiellement, ça peut foutre le bordel dans les balances Target 2 si la monnaie change de pays. Exact. La BCE explique que c'est la structure même du système financier européen qui est à la source de cette nouvelle augmentation des balances Target 2. En gros, la BCE donne l'ordre aux banques centrales nationales de la zone euro de racheter certains actifs financiers. La Banque Centrale Espagnole rachète des actifs espagnols, la Banque de France rachète des actifs... français, la bundesbank rachète des actifs allemands etc. Le problème c'est que ces actifs sont détenus majoritairement par des fonds d'investissement luxembourgeois, hollandais, finlandais ou allemands. Non pas parce que les épargnants de ces pays sont très riches et investissent beaucoup dans les autres pays européens mais parce que ces pays proposent un cadre légal et fiscal qui favorise le développement des services financiers. En gros les fonds d'investissement luxembourgeois gèrent aussi les euros des épargnants espagnols, italiens ou même grecs. Une autre manière de le dire c'est que légalement Les entreprises financières qui forment les marchés financiers européens sont majoritairement situées au Luxembourg, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Finlande. Ah ouais, donc forcément, la Banque Centrale Espagnole achète des produits financiers espagnols détenus potentiellement par des épargnants espagnols, mais dans des fonds luxembourgeois. Donc les eurocentraux espagnols doivent être convertis en eurocentraux luxembourgeois, et le seul moyen de faire ça sans un marché interbancaire qui fonctionne, c'est Target 2. Exactement. Mais ça veut dire que le marché interbancaire est toujours mort, même aujourd'hui ? les banques se font toujours pas confiance ? Pas facile à dire, j'ai pas trouvé beaucoup de données là-dessus, mais il semblerait bien que non. Ah mais attends, il y a un truc qui cloche en fait. Pourquoi on voit pas les balances Target 2 de tous les autres pays qui font pas partie de ces centres financiers diminuer ? La France, l'Irlande, l'Autriche, la Belgique, tout ça. Pourquoi est-ce que c'est que l'Italie et l'Espagne ? La réponse à cette question mériterait une analyse détaillée, pays par pays, et j'ai pas vraiment le temps de le faire ici. Je peux en revanche te montrer ce graphique là. Je te montre l'étendue des rachats d'actifs par banque centrale. On voit bien que l'Espagne et l'Italie sortent du lot, ce qui est normal. puisque ce sont des pays très peuplés. Ce qui est étrange en revanche, c'est l'immobilité de la balance française, alors que pourtant, la Banque de France a racheté pour 422 milliards d'euros de produits financiers français. Si ces milliards avaient quitté la France dans un contexte de marché interbancaire bloqué, on aurait vu la balance Target 2 française diminuer. Pourtant, on ne voit rien. Il n'y a que deux explications possibles. Soit les banques européennes font suffisamment confiance aux banques françaises pour ne pas avoir besoin de passer par Target 2, soit d'une manière ou d'une autre, le flux d'euros sortant de France s'est équilibré avec le flux d'euros entrant. C'est d'ailleurs ce dernier argument qui permet de dire qu'une grande partie des euros fabriqués par le quantitative easing ne passent pas dans l'économie réelle, ou en tout cas pas dans les pays qui en ont le plus besoin. Ah bon ? Comment ça ? Eh bien, une fois la monnaie centrale créée puis envoyée dans les centres financiers européens, celle-ci devrait être réinvestie par les financiers, qui ne peuvent pas se permettre de garder du cash sur un compte en banque. Or, ces investissements ne se font visiblement que dans ces centres financiers, sinon les balances Target 2 seraient impactées dans l'autre sens. Ah mais oui ! Une fois que tu as tout converti en monnaie centrale du Luxembourg, si tu prêtes à une entreprise italienne, il faut tout reconvertir en monnaie italienne. Donc il faut encore passer par Target 2. Donc la monnaie du quantitative easing a tendance à rester dans les centres financiers, ce qui montre bien que soit cette monnaie ne finance que les économies réelles de ces pays, soit qu'elle ne finance que de la spéculation entre financiers. Ah merde ! Avant de terminer cet épisode, j'aimerais poser une question qui nous servira de point de départ pour la prochaine vidéo. Que se passerait-il si un État membre devait sortir de la zone euro ? Ne lui faudrait-il pas rembourser ses dettes Target 2 ? Et si oui, comment et avec quelles conséquences ? Petit spoiler, si l'idéologie politique ne l'emporte pas sur la technique financière, même dans le cadre d'une sortie de l'euro d'un pays comme l'Italie, les balances Target 2 ne devraient toujours pas être un problème. Sur ce, c'est le moment de résumer un petit peu tout ce qu'on vient de dire. Premièrement, parce que les banques commerciales créent la monnaie par l'intermédiaire des prêts qu'elles octroient aux ménages et aux entreprises, la quantité de monnaie scripturale dans une zone monétaire correspond à peu près à la quantité de dette bancaire. Que cette zone soit un pays ou non, sa monnaie ne peut jamais la quitter même si cette dernière est en situation de déficit commercial. Cela est dû au fait que la monnaie n'a pas cours ailleurs que dans cette zone. Cela dit, au sein d'une zone monétaire, il n'est pas rare que de la monnaie créée dans une région pauvre soit transférée dans une autre région plus riche. Le déséquilibre dette quantité de monnaie qui en résulte favorise le développement économique de la région qui a le plus de monnaie et au contraire ralentit le développement de celle qui en a le moins. Pour rééquilibrer la donne, les États ont à leur disposition différents impôts, taxes et transferts. Le problème, c'est que ce genre de déséquilibre ne peut pas être adressé par le très faible budget européen. Et de toute manière, l'idéologie ordo-libérale, dans le cadre de la répartition de la monnaie, a tendance à préférer s'en remettre au seul marché, c'est-à-dire à une libre concurrence stricte sans aucune intervention étatique et à une libre circulation des capitaux. Les déséquilibres des balances Target 2 montrent à quel point le marché ne remplit actuellement pas cette tâche de répartition de la monnaie. En effet, les euros créés dans le sud de la zone s'accumulent dans le nord sans être réinvestis dans le sud. La balance Target 2 excédentaire de l'Allemagne de 884 milliards ne signifie en aucun cas que cette somme serait due aux ménages et entreprises allemandes. De la même manière que les balances fortement négatives de l'Italie et de l'Espagne n'indiquent aucunement que les ménages et entreprises de ces pays devraient rembourser quoi que ce soit à un pays membre de l'euro. Les balances Target 2 n'ont qu'une seule signification. Les agents économiques des pays du Sud se sont endettés auprès de leurs banques, celles-ci ont créé de la monnaie, la monnaie s'en est allée dans les pays du Nord, principalement en Allemagne, et elle est toujours là-bas actuellement. Autrement dit... Les entreprises et ménages allemands disposent d'une quantité de monnaie dont le montant, par rapport à la totalité des dettes du pays, est supérieur d'au moins 884 milliards. Encore une fois, personne ne doit rien aux allemands. Les euros des balances Target 2 circulent déjà en Allemagne. Et d'ailleurs, signe supplémentaire, de l'existence purement technique de ces balances, celles-ci n'ont aucune échéance de remboursement. L'existence des balances Target 2 repose sur le fait que les euros centraux qui servent de relais dans la circulation des euros scripturaux sont spécifiques au pays dans lequel ils circulent. Autrement dit, un euro central doit porter le saut du pays dans lequel il peut être utilisé. Ainsi, à chaque fois que des euros centraux passent de A à B, il y a destruction des euros centraux A, puis création de nouveaux euros centraux portant cette fois le saut de B. Or, comptablement, la création monétaire nécessite toujours une contrepartie. D'où les dettes Target 2 qui finalement servent uniquement à assurer la libre circulation de la monnaie scripturale que nous utilisons chaque jour. Cela dit, pour que les balances Target 2 augmentent fortement, il faut deux conditions. D'abord, le marché interbancaire doit être bloqué, sans quoi les dettes Target 2, par le biais des flux de prêts dans un sens et de paiements dans l'autre sens, s'amènent. Ensuite, il faut que les flux monétaires entre les différents pays ne se compensent pas. Avant 2008, les marchés interbancaires étaient fonctionnels. Il est impossible de lire quoi que ce soit dans les balances Target 2. En revanche, à partir de 2008, parce que la faillite de Lehman Brothers provoque un blocage du marché interbancaire, les balances Target 2 deviennent des indicateurs qui nous montrent les déséquilibres de la répartition de la monnaie en zone euro. On peut lire trois phases différentes dans les mouvements des balances Target 2. De 2008 à 2012, fuite des capitaux investis dans les pays du sud. On peut penser à un résidu d'excédent commercial du nord jusque là investi dans le sud qui est rapatrié. et un transfert d'une partie de l'épargne des résidents les plus aisés. De 2012 à 2015, un rééquilibrage probablement dû en partie au discours de Mario Draghi. A partir de 2015, l'analyse est plus complexe à cause du quantitative easing. En effet, parce que cette mesure suppose une création de monnaie centrale depuis les différents pays membres qui sert ensuite à acheter des produits financiers détenus dans les états au sein desquels sont immatriculés les principales entreprises financières de la zone, on aboutit à une augmentation des balances target qui ne fait que signaler que l'Allemagne, le Luxembourg, la Finlande et la Hollande. sont les grands centres financiers européens. Et d'ailleurs, sauf exception française, le fait que les balances Target2 n'aient qu'augmenté et pas diminué pendant le quantitative easing ne peut signifier que deux choses. Soit la monnaie créée par tous investit massivement dans les économies réelles des centres financiers européens, soit cette monnaie sert principalement la spéculation financière. Finalement, le mécanisme Target2 est remarquable dans le sens où, malgré les déséquilibres monétaires, jamais la libre circulation des capitaux n'a été mise en danger. Le système est très résilient. Par contre, Il y a clairement un problème de répartition de la monnaie en zone euro. Merci à tous d'avoir suivi cet épisode. Je conçois que ces histoires de comptabilité et de dette qui n'en sont pas vraiment, sont pas faciles à comprendre. J'ai dans l'idée qu'il faudrait peut-être que je fasse un épisode sur l'idéologie marchande qui se cache derrière la comptabilité telle que nous la pratiquons. La définition même d'une situation de faillite, par exemple, pour une entreprise, est en réalité assez abstraite, comme on l'avait déjà un peu entrevue dans cet épisode-là. Mais bon, on verra ça pour un prochain épisode. Sur ce, merci à tous d'avoir regardé, un grand merci à tous les tipeurs qui me soutiennent financièrement, n'oubliez pas de liker, partager et de vous abonner, et à bientôt pour l'épisode 2.