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Histoire de Jérôme Kerviel à Wall Street

Je t'ai préparé un autre épisode des Wall Street Stories. Ah ouais cool, on va parler de quoi ? De l'affaire Kerviel. Bah, ça ne s'est pas passé à Wall Street ça ? Non mais Wall Street Stories, ça veut dire des histoires de marchés financiers quoi. Bref, dans ce cas, appelle ça Financial Market Stories. Bon, Jérôme Kerviel traitait un peu sur les marchés américains, d'accord ? Donc en quelque sorte, il travaillait presque à Wall Street. Depuis Paris. Même toi tu n'y crois pas, c'est pathétique. Bref, pour bien comprendre et comme pour le premier épisode, je commence par une vidéo qui explique les principaux concepts et ensuite on parlera de l'histoire de Jérôme Kerviel. C'est parti ! On va commencer par contextualiser un petit peu tout ça. Jérôme Carvial était market maker et arbitragiste sur une activité qu'on appelle le Delta One. L'activité Delta One regroupe plusieurs types de produits financiers et celui dont Jérôme Carvial était responsable s'appelle les turbo-varants. Ah bah belle contextualisation, là on a bien tout compris. Je sais bien qu'aucun de ces termes n'a de sens pour toi, mais t'inquiète pas, je vais partir sur une longue métaphore filée et tu devrais tout comprendre. Imagine un instant un monde dans lequel on aurait inventé la téléportation. Dans ce monde, il n'y aurait plus besoin d'aucun moyen de transport d'aucune sorte. Plus besoin de voiture, d'avion, de bateau, de vélo, etc. imagine que les entreprises qui fabriquent ces moyens de transport continuent quand même de le faire. Oulala, j'ai l'impression que tu pars dans un délire là. Laisse-moi deux secondes. Peugeot, Renault, BMW et les autres continuent de fabriquer des genres de voitures de collection, elles en produisent très peu, quelques centaines d'unités, et ces voitures sont achetées par des passionnés, des collectionneurs qui les utilisent comme moyen d'investissement, ou simplement comme œuvre d'art pour décorer leur garage. Ouais, ok, tout le monde n'a pas l'air hyper réaliste quand même. On s'en fout, reste avec moi. Les collectionneurs de voitures passent leur temps à essayer de prédire si la valeur de leurs engins va monter ou baisser. Dans ce monde un peu bizarre, le prix des voitures n'a pas de rapport avec l'ancienneté du modèle. Un modèle récent peut valoir moins cher qu'un modèle ancien. Et inversement, tout dépend de la popularité de la voiture en question, du nombre d'unités produites, de la disponibilité des pièces de rechange, de la tronche des nouveaux modèles, etc. Ah ok, je crois que je vois où tu veux en venir. On part aussi du principe que les entreprises qui fabriquent les voitures de collection n'ont pas de concessions qui leur appartiennent. Elles passent tous par des revendeurs privés. Autrement dit, quand un collectionneur veut acheter le nouveau modèle Citroën qui sort tout juste des usines de production, il ne peut pas se rendre dans une concession Citroën. Il faut qu'il aille voir un revendeur local. Et ce revendeur, non seulement il ne vend pas que... des Citroën, ils vont aussi toutes les autres marques, mais en plus de ça ils vont aussi les voitures d'occasion. Donc le rôle du revendeur est double. D'abord il rend un service de distribution parce qu'il permet aux marques de voitures d'écouler les modèles qui sortent de leurs usines, et en plus de ça il organise le marché de l'occasion. Il permet aux collectionneurs d'acheter et de vendre des modèles qui leur plaisent peu importe leur ancienneté. Ok donc là si j'ai bien tout suivi, les voitures sont des produits financiers, tes revendeurs ce sont les banques d'investissement et les fabricants ce sont les entreprises qui se financent en émettant des produits financiers. C'est tout à fait ça. Ici les banques jouent un d'intermédiaire pour connecter les entreprises et les collectionneurs ce qui permet aux entreprises de se financer et aux collectionneurs d'investir c'est le marché primaire ou le marché du neuf ensuite les banques organisent aussi le marché de l'occasion le marché du secondaire pour permettre aux collectionneurs de s'échanger les voitures entre ouais ok mais du coup les collectionneurs pourraient très bien s'acheter et se vendre les voitures d'occasion directement entre eux non ils n'ont pas forcément besoin d'un vendeur exact mais dans ce monde imaginaire les collectionneurs passent leur temps à essayer de prédire la valeur future des voitures Ils peuvent parfois acheter et vendre des dizaines de modèles par jour. Donc ils n'ont pas vraiment le temps de passer par des petites annonces, ni même de chercher les collectionneurs susceptibles d'être intéressés par ce qu'ils ont à vendre. Le plus simple, c'est de passer par un revendeur. D'accord, et si je suis bien le truc, le mec qui bosse chez le revendeur, c'est Jérôme Cariel. Exactement ! Imagine que les revendeurs gèrent aussi le marché des avions, des bateaux, des motos, des vélos, etc. De tous les autres moyens de transport qui sont aujourd'hui des objets de collection. Donc au sein de notre revendeur, Jérôme Carviel, c'est le commercial spécialiste des voitures. Son taf, c'est de satisfaire les demandes. ses clients, les collectionneurs. Il doit donc constamment maintenir un stock de voitures diversifiées et pertinents pour être sûr de toujours avoir dans son hangar le modèle demandé. Et d'un autre côté, il doit également conserver une réserve de cash pour pouvoir proposer un prix de rachat et effectivement être capable de racheter les voitures que les collectionneurs souhaitent lui vendre. Ah, je commence à comprendre. Le problème principal de Jérôme, c'est que la valeur des voitures qu'il garde en stock n'arrête pas de fluctuer. Un modèle racheté 50 000 euros à un collectionneur peut perdre la moitié de sa valeur du jour au lendemain. Et donc, puisque Jérôme ne gagne de l'argent que s'il arrive à revendre un petit peu plus cher que le prix d'achat, les fluctuations de prix représentent un superbe ascenseur émotionnel. que Jérôme aimerait bien éviter. Donc, il se hedge. Il contracte des assurances un petit peu spéciales qui lui permettent de stabiliser la valeur de ses voitures. Si un modèle acheté 50 000 euros ne vaut plus que 30 000 au moment de la revente, l'assurance lui remboursera les 20 000 euros manquants. D'un autre côté, si le modèle vaut 70 000 euros au moment de la revente, l'assurance lui demandera de payer les 20 000 euros qui font la différence. Oula, alors attends, on en revient à la question que je t'avais posée dans un autre épisode. Avec cette méthode, Jérôme s'assure contre les fluctuations de prix. Ça, j'ai bien compris. Mais du coup, comment est-ce qu'il gagne de l'argent ? C'est tout simple. Il suffit d'être un bon vendeur. L'idée, c'est que la valeur des voitures, du point de vue de l'assurance, dépend de l'avis d'un expert. Si l'expert dit que la voiture vaut 30 000 euros, alors l'assurance s'engage à rembourser les 20 000 euros manquants. Mais cette estimation ne dit pas que Jérôme ne peut pas vendre la voiture pour plus cher que 30 000. L'expert évalue le prix de la voiture en se basant sur la dernière transaction effectuée. Il sait que le dernier collectionneur à avoir acheté ce modèle a payé 30 000 euros. Donc il en déduit que c'est la valeur actuelle de la voiture. Mais rien n'empêche Jérôme, en bon commercial, de convaincre un collectionneur de dépenser plus que 30 000 euros. S'il y parvient, alors il aura effectivement gagné de l'argent. Donc le boulot de Jérôme, c'est de faire en sorte que le montant remboursé par l'assurance additionnée au prix de vente soit supérieur au prix d'achat. C'est tout con en fait ! Un truc important à retenir, c'est que Jérôme Kerviel, puisqu'il est assuré, n'a pas besoin de chercher à prévoir la manière dont le prix des voitures va évoluer. Il doit simplement être un bon commercial. et s'assurer de bien gérer son stock de bagnoles. Jérôme, à la différence de certains collectionneurs, n'est pas un spéculateur. Waouh, c'est bizarre, j'ai l'impression d'avoir tout compris. Parfait, maintenant revenons quelques instants dans le monde réel. Les voitures sont des produits financiers, ici des turbo-varants, dont on n'a pas vraiment besoin d'expliquer le fonctionnement pour comprendre la suite. Les contrats d'assurance sont principalement des produits dérivés, les revendeurs sont des banques d'investissement, les commerciaux sont des traders market maker les collectionneurs sont donc des investisseurs à qui on a confié l'argent de l'épargne et les entreprises qui fabriquent les voitures sont des entreprises de tout type qui pour se financer émettent soit des actions soit des obligations Sauf que du coup les turbo varants ils viennent d'où si les entreprises n'émettent que des actions et des obligations ? Les turbo varants sont des produits dérivés donc des paris qui portent sur la valeur de certaines actions ou de certains indices boursiers. Mais t'embête pas trop avec ça, c'est un détail. Garde bien en tête le mécanisme que je t'ai expliqué avec les voitures de collection. Le fait que Jérôme Kerviel s'occupe de produits dérivés ne change rien à ma petite métaphore. Ok sauf qu'alors par contre t'as parlé d'indice boursier et moi en fait je sais pas bien ce que c'est qu'un indice. Alors on sera peut-être un épisode là dessus un jour mais en très très gros si je faisais l'addition du prix des actions des dix 10 plus grosses entreprises françaises, le nombre obtenu pourrait être le niveau d'un indice que je viens d'inventer et qu'on pourrait appeler le CAC 10. Quand mon CAC 10 bouge, ça veut dire que le prix des actions des entreprises qui le composent bouge. La méthode de calcul des indices varie. Le CAC 40, le DAX en Allemagne, le FTSE au Royaume-Uni ou le Dow Jones aux Etats-Unis, et j'en passe, ne se calculent pas de la même manière. Mais l'objectif est toujours le même. Il s'agit de dégager une tendance de ce qui se passe sur tout un secteur d'activité, ou dans une région du monde, en agrégant le prix de plein d'actions dans un seul nombre. Bon d'accord, je crois que j'ai enfin compris ce que c'est qu'un indice et le rôle d'un trader. D'un trader market maker, je précise parce que c'est quand même important. Bon maintenant il reste plus qu'à parler de l'autre métier de Jérôme Carviel. Oh mais non j'avais tout capté là pourquoi t'en rajoutes ? T'inquiète pas on va continuer à parler de voitures ça devrait aller. L'état a dit qu'on était autorisé à acheter et à vendre des voitures que entre 9h et 17h30. Le truc c'est que comme la valeur des voitures dépend de plein d'informations diverses et variées, si une information cruciale comme un problème de moteur tombe dans la soirée, le prix du modèle en question le lendemain matin à 9h risque de ne pas du tout être le même que celui que tous les collectionneurs avaient en tête au moment de la clôture à 17h30. Bon. Autrement dit, le prix du modèle en question risque de sauter, c'est-à-dire de passer de 50 000 euros à 40 000 euros. d'un seul coup. Il se trouve que Jérôme Kerviel a remarqué ce principe et que, notamment grâce au fonctionnement des contrats d'assurance qu'il utilise, il est possible de tirer profit de ce type de sceau. La stratégie consiste à anticiper l'information et à vendre à la concurrence les modèles qui seront concernés. On appelle ça faire un arbitrage. Ici encore, le détail importe peu. Ce qu'il faut bien retenir c'est que Jérôme Kerviel essayait de… comment dire… de baiser la concurrence. Ouais, en fait c'est exactement ça. Et la concurrence ce sont en réalité… les autres banques d'investissement, comme BNP Paribas, Deutsche Bank, Credit Suisse, et j'en passe. Alors je sais bien que comme ça, tu dois avoir l'impression que la stratégie que je viens de t'expliquer semble toute simple, qu'a priori, on pourrait faire ça avec n'importe quel produit financier. Mais en réalité, il y a des spécificités liées au turbo-varant, dont Jérôme Carviel est responsable, qui rendent ce type de stratégie particulièrement avantageuse. Ce que je voudrais surtout que tu retiennes, c'est que dans ce cadre, on demandait à Jérôme Carviel de prédire les sceaux. Donc d'anticiper la manière dont le prix des voitures pouvait évoluer. Autant son rôle de market maker ne nécessitait en théorie aucune forme de spéculation, autant sa casquette d'arbitragiste l'obligeait à en faire. Et là attention, je m'égare un peu donc je me corrige. L'activité d'arbitrage de Jérôme Kerviel nécessitait quand même la mise en place d'une assurance. Il ne s'agissait pas pour lui de se dire si j'ai raison, je gagne des sous, par contre si j'ai tort, je perds tout. Mais plutôt si j'ai raison, je gagne un peu de sous et si j'ai tort, je ne perds rien ou presque rien. Donc oui, en tant qu'arbitragiste, on demandait à Jérôme Kerviel de parier ce qui se rapproche d'une activité de spéculateur mais non c'est quand même pas exactement la même chose voilà désolé pour ce petit aparté on est reparti allez vas-y je suis chaud explique moi ce qui s'est passé il me reste une dernière chose à mettre en place dans mon monde imaginaire de collectionneurs de voitures certains d'entre eux peuvent acheter et vendre jusqu'à une dizaine de modèles différents chaque jour ça veut dire que chaque jour jérôme se retrouve à gérer la vente ou l'achat de potentiellement plus d'une centaine de voitures pour lesquelles il faut également systématiquement mettre en place une assurance évidemment face à une telle activité il n'a pas le temps de rédiger un joli contrat en bonne et due forme pour chacun des collectionneurs donc il se contente de griffonner sur un bout de papier le prix de la transaction le nom du modèle ainsi que celui du client mais c'est probablement un assistant qui entre toutes ces transactions dans un système informatique et ensuite un service qui va gérer tout le processus administratif et comptable liés aux différentes transactions rédiger le contrat facturer ou payer le collectionneur, prévoir la livraison de la voiture, etc. On appelle ce service le back office, par opposition au front office, qui est le service dans lequel travaille Jérôme, et qui lui est en contact direct avec les clients. Mais il existe un autre service qui a une importance capitale. Mais quel suspect, je meurs d'envie d'avoir le nom de ce service ! Le middle office. Il est facile de comprendre que si Jérôme a mal écrit tel ou tel chiffre, ou encore que son assistant a confondu deux collectionneurs qui ont presque le même nom, on va vite se retrouver avec des erreurs dans le système. Et du côté des collectionneurs les plus actifs, le problème est exactement le même. Il y a donc régulièrement des erreurs de saisie dans les systèmes informatiques, ce qui fait que les back-office se retrouvent parfois avec de mauvaises informations. À ce moment-là, c'est un service appelé middle-office qui doit enquêter pour réconcilier les données. Ok, donc au front-office, il y a les commerciaux, au back-office, il y a les caissiers, la compta et le système de livraison, et au middle-office, il y a le service après-vente. Ouais, en gros, c'est ça. La clé ici, c'est que les employés du middle et du back-office n'ont pas besoin de comprendre la manière dont Jérôme gère son business de voiture pour faire leur boulot. Ils n'ont pas besoin de comprendre tout le système complexe d'assurance qui est mis en place à chaque transaction. D'ailleurs, le back-office qui s'occupe des contrats d'assurance n'est pas le même que celui qui s'occupe des contrats d'achat ou de vente des voitures. Tout l'administratif qui bosse avec Jérôme est compartimenté et seul Jérôme et ses responsables ont une vision globale de ce qui se passe. Ok, ça roule, j'ai tout compris. Donc je te résume tout ça rapidement. Jérôme Carviel travaillait à la Société Générale, dans une partie de la banque qui s'intéresse plus aux échanges entre les investisseurs, donc au marché de l'occasion, le marché secondaire, qu'aux échanges entre les investisseurs et les entreprises, le marché du neuf, le marché primaire. Plus précisément, Jérôme Carviel s'occupait des turbo-varants, des produits dérivés, donc des paris qui portent sur des actions ou des indices boursiers. Cela dit, contrairement aux investisseurs qui étaient ses clients, le rôle de market maker de Jérôme Carviel ne l'obligeait pas vraiment à parier. Il utilisait d'autres produits financiers que l'on peut se représenter comme des genres de contrats d'assurance pour stabiliser la valeur des turbo-varants qu'il achetait. Et concrètement, son job, c'était simplement de faciliter la vie de ses clients en leur proposant un prix de rachat s'ils en avaient besoin, ainsi qu'un stock diversifié et facile d'accès si jamais ils souhaitaient investir davantage. Cette activité est en fait très proche de celle d'un grossiste ou d'un revendeur de voitures d'occasion, dont le boulot est simplement de revendre tout ce qu'il achète un tout petit peu plus cher. Mais Jérôme Kerviel était également arbitragiste. Il essayait de gagner des sous au nez et à la barbe de ses homologues qui travaillaient sur le même produit que lui, mais dans d'autres banques. Et autant l'activité de market maker ne faisait théoriquement appel à aucune forme de spéculation, autant l'activité d'arbitragiste, elle, nécessitait clairement une compétence en la matière. Pour finir, le processus de saisie informatique des transactions des traders fait qu'on peut régulièrement se retrouver avec des erreurs dans la base de données. C'est le rôle du middle office de les retrouver et de les corriger. Cela dit, comme les services administratifs de middle et de back office des banques d'investissement sont compartimentés, ils n'ont aucune vue d'ensemble sur la stratégie employée par le front office, ce qui en théorie ne les empêche pas de faire leur boulot. Merci d'avoir regardé ce premier épisode d'introduction, je vous ai mis le lien de la suite juste ici je crois, sinon je vous ai mis un lien dans la description. Comme vous pouvez le constater, il y a un nouveau logo qui s'affiche, c'est celui du site Tostadora qui m'a envoyé le t-shirt, enfin les t-shirts pour l'épisode. Si vous les trouvez sympas, n'hésitez pas à aller faire un tour sur leur site, je vous ai aussi mis des liens dans la description. Sachez que je touche une petite participation si vous achetez un t-shirt. Alors loin de moi l'idée de vous pousser à la consommation, mais ça peut peut-être être l'occasion de faire d'une pierre deux coups si vous aimez mes vidéos et que vous aimez aussi les t-shirts du site. Pour le reste, vous commencez à connaître. N'hésitez pas à liker, commenter, partager la vidéo. N'hésitez pas non plus à me rejoindre sur Facebook et Twitter. Merci beaucoup aux tipeurs qui continuent de me soutenir. Et à tout de suite.