Le 13 janvier 1898, Émile Zola publie dans le journal L'Aurore une lettre ouverte au président de la République, Félix Faure, en faveur du capitaine Alfred Dreyfus. Quatre ans auparavant, le 22 décembre 1894, cet officier juif français a été reconnu coupable de haute trahison par le Conseil de guerre. Il est condamné à la dégradation et à la déportation sur l'île du Diable, au large de la Guyane.
Retour sur les faits. Un bordereau anonyme contenant des notes relatives aux activités militaires de la France est découvert dans la corbeille à papier d'un attaché militaire allemand à Paris. Sous prétexte que l'écriture ressemblait à celle de Dreyfus, celui-ci, qui ne cesse de clamer son innocence, est accusé d'avoir transmis des documents secrets à l'Allemagne.
Il faut bien comprendre que cette affaire s'inscrit dans un contexte de crise qui marque la France de l'époque. Le régime républicain est déstabilisé par un nationalisme agressif et un antisémitisme croissant. L'affaire Dreyfus aurait pu s'arrêter à cette condamnation, mais en mars 1896, le lieutenant-colonel Picard, le nouveau chef des services de renseignement, découvre l'identité du véritable traître, le commandant Esterhazy.
Toutefois, l'état-major, soucieux de sauver l'honneur de l'armée française, préfère étouffer l'affaire en mutant Picard et en créant de toutes pièces un document accablant Dreyfus. Sous la pression de l'opinion, Esterhazy doit néanmoins passer en conseil de guerre pour être finalement acquitté le 11 janvier 1898. Devant cette injustice, les partisans de la révision du procès de Dreyfus se mobilisent pour émouvoir l'opinion publique. Deux jours plus tard, Émile Zola publie donc dans l'Aurore son célèbre J'accuse Le titre provocateur a été choisi par Georges Clemenceau, fondateur du journal, et s'étale en gros caractère en tête de une. Dans cette longue plaidoirie, Zola rappelle dans un premier temps les circonstances de l'affaire, la trahison d'Esterhazy et son acquittement scandaleux. Dans une suite de litanies commençant par le célèbre j'accuse, il interpelle les ministres de la guerre, les officiers de l'état-major et les experts en écriture convoqués lors du procès.
Selon lui, ce sont eux les responsables de la condamnation d'un innocent et de l'acquittement d'un coupable. La vigueur du style de Zola force l'admiration de tous, et notamment celle de Charles Péguy, qui parle d'une véritable prophétie. A une époque où l'audience de la presse s'affirme de plus en plus, ce pamphlet, tiré pour l'occasion à 300 000 exemplaires, a un très grand retentissement dans l'opinion publique. Le but que s'était fixé Zola est atteint, puisque le gouvernement lance immédiatement des poursuites judiciaires contre lui et contre le journal de Clémenceau pour diffamation. L'extraordinaire médiatisation du procès de Zola, qui aboutit à sa condamnation le 23 février 1898 et à sa fuite en Angleterre, cristallise les passions Dreyfusard et anti-Dreyfusard.
Cette affaire se transforme alors en véritable crise morale et politique. A nouveau condamné par le Conseil de guerre lors d'un second procès en 1899, Dreyfus est gracié quelques jours plus tard par le président Émile Loubet. Mais il faut attendre 1906 pour qu'il soit réhabilité par le gouvernement et reconnu totalement innocent.
Cette édition de l'Aurore du 13 janvier 1898 reste la une de journal la plus célèbre de l'histoire de la presse et le texte de Zola se hisse au sommet des monuments littéraires.