Aujourd'hui on parle de la fameuse loi de la baisse tendancielle des taux de profit chez Marx. Marx reprend à son compte la théorie de la valeur travail dont on a parlé dans les deux vidéos précédentes pour lui comme pour Ricardo La valeur d'un bien, c'est la quantité de travail incorporée dedans. Et si un bien vaut 3 fois plus qu'un autre, c'est tout simplement que sa fabrication a demandé 3 fois plus de travail direct et indirect. Là-dessus, Marx va insister ou rajouter 3 éléments importants, ce qui lui permettra d'obtenir cette fameuse baisse tendancielle des taux de profit.
Donc on commence par présenter ces 3 éléments. Le premier élément important que Marx a à prendre en compte, mais on retrouve aussi ce point chez Ricardo, c'est que le profit que touchent les capitalistes représente une ponction sur la richesse créée par le travail. Pour revenir à l'exemple du castor, un gars va chasser avec un piège et tuer un castor, et le capitaliste qui lui a fourni le piège prélèvera un profit, par exemple la moitié du castor. Donc l'association du travail et du capital, capital qui n'est que du travail passé, ont permis de produire quelque chose, ici un castor, Et le capitaliste se rémunère en prélevant une partie de la richesse produite par ce travail. Alors attention, ça ne veut pas dire ici que le capitaliste vole la richesse produite par le travail.
Car c'est lui qui a permis, dans ce cas-là, au chasseur de tuer le caisse d'or, en lui fournissant l'arc et en investissant son argent. Il paraît donc pas illogique qu'il se rémunère pour cela. Mais la richesse est bel et bien créée par le travail, et le profit constitue bien un prélèvement sur cette richesse. Deuxième élément, un échange de marchandises ou de capital ne peut pas générer de plus-value. La plus-value, c'est ce qui permet aux capitalistes de produire des marchandises qui ont une valeur plus forte que ce qu'elles ont coûté à produire, et donc ce qui leur permettra ensuite de réaliser des profits.
Marx remarque que cette plus-value ne peut pas provenir de l'acte d'échange lui-même, c'est-à-dire d'un achat ou d'une vente. L'échange n'est pas créateur de richesse et ne peut donc pas être la source de la plus-value. Pour revenir à notre castor, le piège qui sert à le capturer a nécessité 4 heures de travail, et donc à une valeur correspondant à peu près à ces 4 heures de travail.
Si j'achète ce piège et que j'embauche un chasseur pendant 2 heures pour capturer un castor, j'aurai alors un castor d'une valeur correspondant à 6 heures de travail. Mais on voit bien que la plus-value générée par mon entreprise de chasse au castor ne veut pas provenir de l'achat du piège, car ce piège a une valeur de 4 heures de travail, valeur qu'il a transmise à mon castor. Or, sa valeur, c'est aussi normalement le prix auquel je l'ai acheté. Donc ce capital me coûte autant que la valeur qu'il transmet à mes marchandises, Il ne veut pas être la source de mon enrichissement.
Et si, par hasard, j'avais payé ce piège le prix de 3 heures de travail, alors certes j'aurais gagné l'équivalent de 1 heure de travail grâce à lui, mais l'entreprise qui me l'a vendu aura, elle, subi une perte équivalente. Donc au niveau global, cet achat-vente de capital n'aura généré aucune plus-value pour les capitalistes. Et bien sûr, si j'avais acheté le piège plus cher que sa valeur, ça aurait été exactement la même chose.
Au passage, ce deuxième point permet d'améliorer la théorie de la valeur travail de Ricardo, puisqu'un capital donné ne peut pas générer plusieurs fois de la plus-value. Mais il pose d'autres problèmes, comme ça nous éloigne un peu du sujet, j'évoque ces points dans la description. Et la conséquence immédiate de ce point est que si la plus-value ne trouve pas son origine dans le capital et dans l'échange, alors elle doit la trouver dans autre chose.
Et ce sera notre troisième élément. Ce troisième élément donc, est que si la plus-value ne se trouve pas dans l'échange et le capital, elle se situe nécessairement au niveau de la production et du travail. Dans notre exemple toujours, le chasseur embauché va par son travail permettre d'attraper le caisse d'or et lui transmettre de la valeur. Mais il recevra en échange un salaire inférieur à la valeur qu'il a créée par son travail. La plus-value résulte alors de la différence entre la valeur créée par le travail et la rémunération de ce travail par le capitaliste.
Pourquoi alors les travailleurs acceptent-ils de vendre leur force de travail à un salaire inférieur à la valeur qu'ils vont créer en produisant ? Tout simplement car produire des marchandises demande à la fois du travail et du capital. Or, un travailleur ne possède pas de capital, il possède uniquement sa force de travail.
La seule possibilité qu'il a de produire des marchandises, et donc de survivre, est alors de vendre sa force de travail à un capitaliste, quel que soit le niveau des salaires. La source de la plus-value pour une entreprise, c'est donc le travail fourni par ses employés. Maintenant, combinons ces différents éléments en nous appuyant toujours sur l'exemple de la chasse au castor. Le propriétaire de l'entreprise de chasse va donc acheter un piège d'une valeur de 4 heures de travail, embaucher un chasseur pendant 2 heures et obtenir un castor d'une valeur de 6 heures de travail.
Comme on l'a vu, sa plus-value ne peut avoir pour origine que le travail direct de ses employés. Supposons alors que notre chasseur ne soit rémunéré qu'à hauteur de la moitié de la valeur qu'il a créée. Ça signifie que son salaire correspondra à la richesse créée par une heure de travail et la plus-value aura pour origine cette heure de travail non payée au chasseur.
Ce rapport entre ce qu'a gagné le capitaliste et le salaire qu'il verse au travailleur C'est ce que Marx appelle le taux d'exploitation. Dans notre exemple, le capitaliste a prélevé une heure de richesse créée par le travail et a versé à son employé un salaire équivalent à une heure de travail. Le taux d'exploitation est donc de 1 sur 1, soit de 100%. Et pour calculer le taux de profit, on peut faire le rapport entre la plus-value du capitaliste, équivalente ici à une heure de travail, et la valeur créée par l'association du travail et du capital, équivalente ici à 6 heures de travail.
Le taux de profit sera donc de 1 sur 6, soit à peu près 16,7%. Ce taux de profit, il sera le même pour les autres entreprises de chasse de la région. Chacune va se procurer un piège qui a demandé 4 heures de travail pour être produit et embaucher un chasseur pendant 2 heures pour attraper un castor. Maintenant, imaginons que notre première entreprise parvienne à se procurer un deuxième piège et que grâce à ce piège, le chasseur puisse désormais chasser 2 castors en 2 heures. Ça signifie que dans cette entreprise, il faut désormais 2 pièges, qui représentent chacun 4 heures de travail, plus 2 heures de chasse, soit 10 heures en tout, pour attraper 2 castors.
Donc le temps de travail qu'il faut pour attraper un castor, c'est la moitié, soit 5 heures. En fait, un piège qui demande 4 heures de travail est une heure de chasse. Est-ce que notre capitaliste a intérêt à acheter ce deuxième piège ? Oui, bien sûr, car chasser un castor ne demande plus que 5 heures de travail, là où ça en demandait 6 dans les autres entreprises.
Donc il sera plus compétitif. Si on suppose que le taux d'exploitation est le même que précédemment, ça signifie que le patron va prélever la moitié de la valeur créée par le travail. Ici, il y a une heure de travail par castor capturé, Donc le patron en prélève la moitié, soit une demi-heure.
Et il va continuer à vendre son castor au même prix que les autres, soit au prix de 6 heures de travail. Du coup, son profit, il est sur chaque castor équivalent à 1h30 de travail, une demi-heure de travail prélevée sur le chasseur, et une heure gagnée grâce au fait qu'il produit moins cher que la concurrence. Si on rapporte cette heure et demie aux 6 heures correspondant à la valeur du castor, ça donne un taux de profit de 1,5 sur 6, soit 2,25%.
Notre capitaliste a donc bien fait d'investir dans ce deuxième piège, son taux de profit a augmenté. Mais que va-t-il se passer ensuite ? Toutes les autres entreprises vont vouloir faire la même chose et acheter un deuxième piège à Castor.
Par conséquent, il ne faudra partout plus qu'un piège et une heure de chasse pour tuer un Castor, soit 5 heures en tout. Et la concurrence va ramener le prix du Castor au niveau de ses 5 heures de travail. Quel est alors le taux de profit pour chacune de ces entreprises ?
Si le taux d'exploitation est toujours le même, elle prélève la moitié de la valeur créée par le travail pour chaque Castor attrapé, soit ici la valeur créée par une demi-heure de travail. Et les Castors ont une valeur de 5 heures de travail. Le taux de profit est donc de une demi-heure sur 5 heures, soit 0,5 sur 5, ou 10%. Il a baissé.
On constate alors que chaque entreprise avait intérêt individuellement à acheter un deuxième piège à Castor pour augmenter ses profits, mais une fois qu'elles l'ont toutes fait, leur taux de profit diminue. Comment alors peut-on expliquer cette diminution du taux de profit ? Comme on l'a vu, les entreprises ne dégagent de la plus-value que sur la valeur créée par le travail.
Et leur taux de profit, c'est le rapport ici entre cette plus-value et la valeur des marchandises produites. Le problème, c'est qu'avec le temps, chaque capitaliste augmente son stock de capital, son nombre de machines. Ça lui permet d'augmenter la productivité du travail et donc d'être plus compétitif.
S'il ne le fait pas, son entreprise moins productive sera éliminée par la concurrence. Mais en faisant ça, il diminue la part du travail qu'il faut pour produire un bien, comme on l'a vu avec l'exemple du castor. Or, comme le profit ne peut être prélevé que sur cette part, on se retrouve mécaniquement avec une diminution des taux de profit dans l'économie. Au passage, l'achat des machines, des matières premières, etc. c'est ce que Marx appelle le capital constant. Et le paiement des salaires, c'est ce qu'il appelle le capital variable.
Le rapport entre le capital constant et le capital variable est quant à lui appelé la composition organique du capital. On devrait s'attendre avec le temps à ce que la composition organique du capital augmente dans nos économies, qu'il y ait de plus en plus de capital constant par rapport au capital variable, puisqu'on accumule toujours plus de capital. Mais ce processus va faire baisser les profits puisqu'ils ne peuvent provenir que du capital variable. On se retrouve donc avec un système dans lequel chacun a intérêt à augmenter sa composition organique du capital pour être plus compétitif et accroître ses profits, mais quand tout le monde le fait, tout le monde y perd.
Les capitalistes finalement, en cherchant à accroître leurs profits, ne font à long terme que scier la branche sur laquelle ils sont assis. Car les taux de profit vont diminuer peu à peu, jusqu'au jour où ils seront tellement faibles que cela générera d'énormes crises et la chute finale du capitalisme. Dans notre exemple, si tout le monde se met à acheter un troisième piège, et qu'un chasseur peut désormais tuer trois castors en deux heures, les taux de profit passeront à environ 7%, et avec un quatrième piège, ils seront d'environ 5,5%, etc. A nouveau, je mets les calculs dans la description.
Le capitalisme finira donc par s'effondrer sous le poids des forces qui avaient permis son expansion, l'exploitation des travailleurs, la recherche du profit et l'accumulation du capital. La chute des taux de profit peut être néanmoins en partie compensée d'après Marx. Car pour essayer de retrouver leurs profits passés, les capitalistes peuvent par exemple augmenter le taux d'exploitation de leurs employés.
Tout à l'heure, les taux de profit étaient de 16,7% avec un piège et de 10% avec deux pièges. Mais le taux d'exploitation dans les deux cas était de 100%. Les capitalistes prélevaient grâce au travail autant de richesses qu'ils versaient de revenus à leurs employés. Avec la baisse de leur taux de profit, ils seront alors tentés d'exploiter davantage leurs mains d'œuvre.
Par exemple, au lieu de prélever la moitié de la valeur créée par le travail, ils en prélèveront les trois quarts. De cette manière, ils prélèvent l'équivalent de trois quarts d'heure de richesse créée par le travail, et leur taux de profit sera de 0,75 divisé par 5, il remontera donc de 10 à 15%. Les capitalistes sont alors contraints soit de voir leur taux de profit baisser régulièrement, soit d'exploiter toujours plus leurs mains d'œuvre. Le truc, c'est qu'il y a une limite au taux d'exploitation des travailleurs.
Il faut bien qu'ils se nourrissent pour pouvoir continuer à venir travailler jour après jour. Il faut aussi qu'ils puissent élever des enfants pour que ceux-ci grandissent et remplacent leurs parents dans les usines. On parle de reproduction de la force de travail. Donc cette hausse de l'exploitation ne peut limiter que pendant un temps la baisse des taux de profit.
Mais il y a aussi d'autres éléments pour Marx qui vont permettre de ralentir cette baisse des taux de profit. Le commerce international, par exemple, va permettre de diminuer le prix des matières premières et de l'alimentation. Or, si le prix des matières premières baisse, la valeur du capital constant diminuera aussi, ce qui fera réaugmenter les taux de profit.
Et si le prix des aliments baisse, les capitalistes pourront verser des salaires plus faibles aux ouvriers qui ont besoin de moins de revenus pour se nourrir. Ils pourront donc tirer profit d'une plus grande partie de la valeur créée par le travail. Mais à nouveau, cela ne fonctionne qu'un temps.
Et ces facteurs qui font augmenter les taux de profit à court terme vont favoriser l'accumulation de capital et donc vont les faire diminuer à long terme. L'ouverture au commerce international ne peut donc aussi contrecarer qu'à court ou moyen terme la baisse tendancielle des taux de profit. Marx évoque ainsi diverses contre-tendances à la baisse des taux de profit.
J'en donne un dernier exemple. Si on est plus productif, alors produire des machines, du capital, demandera aussi moins de travail et coûtera donc moins cher. Ce qui, à nouveau, devrait faire baisser la valeur du capital constant et faire mécaniquement réaugmenter les profits. Toutefois, pour Marx, ces contre-tendances peuvent atténuer un peu la baisse des taux de profit, mais ne pourront pas l'entraver complètement. Les taux de profit finiront donc bien par baisser, et le capitalisme est condamné à disparaître sous le poids de ses propres contradictions.
Bon, j'en arrive au moment où je vais décevoir tous ceux qui voient dans cette loi l'explication rêvée pour remettre en cause le capitalisme. Car cette loi a par la suite été vivement critiquée, à la fois au sein du courant marxiste et par les autres courants de pensée. Et aujourd'hui, la très grande majorité des économistes, même à ma connaissance des économistes marxistes, ne croient plus en cette loi.
Si je prends deux de mes ouvrages de référence en histoire de la pensée économique, écrits par deux auteurs qu'on ne peut pas soupçonner d'antipathie pour la théorie marxiste, il est expliqué dans le premier que cette théorie possède une faiblesse dont il semble qu'aucune reformulation ne permette de la surmonter, et dans le deuxième, il parle d'une théorie qui souffre de sérieux défauts et d'une lacune considérable. Les citations exactes sont dans la description. Alors, où est le problème ?
Comme c'est un débat qui a de nombreuses ramifications et continue à faire l'objet de discussions aujourd'hui, Je vais me contenter de donner uniquement quelques exemples de critiques qui ont été faites. La première, qui reprend une des contre-tendances évoquées par Marx, est que si effectivement nous accumulons toujours plus de capital dans nos économies, on ne constate pas pour autant une augmentation du rapport entre la valeur de ce capital et la valeur des richesses produites. Donc il ne semble pas y avoir de réelle modification de la composition organique du capital.
En fait, certes il y a plus de capital dans nos économies, mais le progrès technique fait que ce capital coûte moins cher à produire. Donc la valeur du stock de capital n'augmente pas nécessairement face aux dépenses salariales dans nos économies. Pour prendre un exemple, aujourd'hui il y a disons 10 fois plus d'ordinateurs dans nos entreprises qu'il y a 30 ans, mais comme les ordinateurs valent disons 10 fois moins cher, ça n'a pas modifié la composition organique du capital. Autre élément, une hausse du taux d'exploitation ne provoque pas nécessairement une diminution du niveau de vie des travailleurs.
Si je reprends l'exemple du chasseur de castors, au début il chassait un castor en 2 heures, et son patron lui prélevait la moitié des richesses produites, donc la moitié d'un castor. Il lui restait alors un demi-castor pour lui. Et ensuite, avec le deuxième piège, il va chasser deux castors en deux heures, donc si son patron prélève toujours la moitié de la richesse produite, il y aura un castor pour son patron et un castor pour lui. Son niveau de vie a donc augmenté, même s'il est toujours autant exploité. Et si le patron prélevait les trois quarts de la richesse produite, il lui resterait toujours un demi-castor, malgré la hausse du taux d'exploitation.
Mieux vaut générer 10 000 euros de richesse avec beaucoup de capital et se faire prélever 60 000 euros de richesse. 75% de la richesse produite par son patron, ce qui nous laisse 2500€ pour vivre, que de générer 1000€ de richesse avec peu de capital et se faire prélever 50% de la richesse produite, ce qui nous laisse que 500€ pour vivre. Donc une hausse du taux d'exploitation ne signifie pas forcément un appauvrissement de la classe ouvrière. Par ailleurs, la théorie comme quoi le capital ne peut pas être la source de la plus-value est largement discutable, et la question des débouchés, donc de l'écoulement des marchandises produites, est absente de cette analyse. Mais ces points, à nouveau, j'en parle un peu plus longuement dans la description.
Voilà en tout cas pour cette loi de la baisse tendancielle des taux de profit chez Marx. On continue dans la prochaine vidéo où on parlera d'une différence fondamentale entre Marx et Keynes. Merci d'avoir regardé cette vidéo, à très bientôt ! On va essayer de tous ensemble gagner en productivité grâce notamment à des procédures mieux vissées. Plus vite !
Je veux que ça aille plus vite !